Une grille faite de cent cylindres rectangulaires fixée sur la façade d’une maison générait un bruit mono-harmonique fort et gênant. Les cylindres sont creux et troués aux extrémités mais le bruit ne venait pas d’un résonateur de Helmholtz (« effet bouteille »), qui aurait créé des bruits indépendants pour chaque cylindre.
Le son mono-harmonique autour de 70Hz suggérait plutôt une vibration transversale (par rapport au vent) des cylindres rectangulaires (premier mode de flexion). L’écoulement derrière un corps non profilé est décroché. Des tourbillons se détachent de chaque côtés du corps de manière alternée, à une fréquence f_v dépendant linéairement de la vitesse du vent U (loi de Strouhal, St=f_v D/U, où D est une dimension transversale du corps).
Lorsque cette fréquence d’éjection atteint la fréquence propre de la structure (f_v=f_s), les deux sources d’excitation (fluide et structure) s’entretiennent mutuellement sur un certain intervalle de vitesse où la synchronisation se produit. La structure ne vibre donc que pour cet intervalle de vitesse (lock-in) et ce phénomène est appelé vibrations induites par tourbillons (en anglais Vortex Induced Vibration, noté VIV).
Ce travail propose une étude complète du VIV, combiné à un effet de grille. Il s’est basé sur des mesures sur site, des outils numériques (éléments finis pour la partie structure, et dynamique des fluides computationnelle (CFD)) et une modélisation complète en soufflerie (WT). Une comparaison entre les mesures de pression instationnaire en soufflerie et les résultats numériques CFD a permis de comprendre le processus d’éjection de tourbillons et le type de synchronisation en cas d'arrangement en grille. Cette étude se concentre sur deux paramètres : l’incidence du vent et l’espacement entre les cylindres.
La première phase de l’étude a consisté en des mesures sur site pour connaître les conditions de vent induisant les vibrations et le bruit. Trois cylindres au centre de la grille ont été instrumentés par des accéléromètres : deux furent remplis de sable et le troisième fut laissé vide, pour étudier l’effet du nombre de Scruton (combinaison de l’amortissement et du rapport de masse) sur les amplitudes de vibration. Plus l’amortissement et la masse sont élevés, moins la structure vibre. Simultanément, un anémomètre a mesuré la vitesse et la direction du vent, de manière à identifier les conditions critiques de vent. Elles ont été identifiées pour un vent dépassant 5 m/s avec des directions dans l’intervalle [0,50]°. Pour un cylindre seul, la vitesse critique est plus élevée, l’effet de grille est donc important et était l’objet de l’étude en soufflerie.
Pour une géométrie donnée et une incidence, un corps est caractérisé par un nombre de Strouhal (St) qui donne la vitesse critique U_c=f_i D / St, connaissant la fréquence propre f_i et la dimension transversale de l’objet D. Une carte du St en fonction de l’incidence de vent (alpha) et de l’espacement entre les cylindres (T/D) a été réalisée en soufflerie. La vitesse critique diminue lorsque l’incidence et l’espacement diminuent (car le Strouhal augmente). Des mesures de pression instationnaire autour des cylindres ont permis de mieux comprendre le phénomène de détachement tourbillonnaire et sa synchronisation entre les cylindres, en fonction de l’incidence et de l’espacement.
Une étude CFD des mêmes configurations a permis de comparer et de mieux comprendre l’écoulement complet derrière la grille. En comparant les courbes amplitude de vibration vs. vitesse sur site et en soufflerie, il est conclu que la largeur du lock-in sur site est une combinaison des lock-in observés entre 0 et 50° en soufflerie.
Au niveau de l’intensité sonore, elle était sensiblement plus importante sur site, pour un même niveau de vibration. En réalité, une terrasse fermée était placée derrière la grille, jouant le rôle d’une caisse de résonance de guitare. Grâce à cette étude paramétrique multi-échelle, une compréhension complète du phénomène combiné de VIV dans une grille a permis de proposer une solution technique au problème. Il est possible de modifier une instabilité Fluide-Structure en modifiant la géométrie (impactant l'aérodynamique), la masse, l’amortissement ou encore la raideur.
L’idée était de diminuer les amplitudes de vibration et/ou d'augmenter la vitesse critique vers des vitesses de vent moins probables sur site. Le Strouhal, et donc la vitesse critique, dépendent de la géométrie mais celle-ci est fixée. L’ajout de sable dans les cylindres (masse et amortissement) diminue l’amplitude de vibration par augmentation du Scruton mais l’effet n’était pas suffisant. Raidir la structure permet par contre d’augmenter la vitesse critique et de diminuer fortement la probabilité de mise en vibration.
La solution proposée consiste donc à riveter aux cylindres une poutre horizontale de faible dimensions à mi-hauteur de la grille. La fréquence propre et la vitesse critique ont été triplé, atteignant 15 m/s (très peu probable en campagne belge) et l’amortissement doublé (par frottement au niveau des rivets).
Auteur : François Rigo, étudiant ULiège
Supervisé par Thomas Andrianne et Greg Dimitriadis
Cet article a paru dans le Journal de l'AIV d'avril 2018.
Pour en savoir plus :
Un article à paraitre dans J. of Wind Eng. & Indus. Applications